Cet avis se base sur l’unique volume de la première édition de « I », et plus particulièrement sur sa version américaine par Tokyopop.
« I » Daphne in the Brilliant Blue était à plus d’un titre un tournant dans la carrière de Satoshi Shiki. Il avait tout d’abord la lourde tâche de succéder à sa première œuvre majeure, Kamikaze (sa seule série achevée de surcroît). Il s’agissait de plus d’une première pour le mangaka : travailler sur l’adaptation d’une série animée en manga. Dérivé de Daphne in the Brilliant Blue, un dessin animé en vingt-quatre épisodes, le titre de Satoshi Shiki n’en reprend pas la trame et peut être vu comme son complément. Il propose un éclairage sur une autre époque et d’autres lieux de l’univers de Daphne in the Brilliant Blue. Son titre marque bien la différence avec ce « I » (sans doute le « je » anglais et une allusion au prénom de son héroïne, Aï, qui en est un homophone), précédant le titre du projet, et davantage mis en évidence sur la couverture du manga. Quoique l’on pense de « I » Daphne in the Brilliant Blue ou du dessin animé, on ne peut hélas pas dire que ce tournant s’est bien passé pour le mangaka, puisque son titre s’est arrêté en plein vol après un unique volume qui ouvrait pourtant la route à des développements futurs.
Sans être forcément révolutionnaire, l’univers dans lequel prend place « I » Daphne in the Brilliant Blue est assez séduisant. On est dans le registre de la science-fiction comme en attestent de nombreuses fantaisies (villes sous-marines, nombreux engins marins et sous-marins…). Pour autant, la ville de Noimon, dans laquelle se déroule l’action du manga, ses quartiers, ses immeubles ou ses commerces ne paraissent pas si futuristes que cela. Le plus dépaysant reste ses voies faites d’eau plutôt que de bitume. L’omniprésence de l’eau donne un côté rafraichissant (au sens propre comme au sens figuré) et exotique à « I » Daphne in the Brilliant Blue, mais gare aux éclaboussures lors des nombreuses poursuites mises en scène !
Travaillé et maîtrisé, l’univers de « I » Daphne in the Brilliant Blue est mis en place avec beaucoup de talent. Le lecteur n’est jamais perdu, ni noyé, et acquiert rapidement une bonne perception du monde présenté dans le manga et de ses enjeux. L’auteur évite les longues explications fastidieuses et approfondit, au fil des chapitres, au gré des dialogues, le contexte et les groupes en jeu. A la fin du volume, on a une parfaite connaissance de l’univers de « I » Daphne in the Brilliant Blue.
Le scénario de « I » Daphne in the Brilliant Blue est mouvementé et riche en action. Au cours des six chapitres du manga, Satoshi Shiki multiplie les poursuites, les cascades et les confrontations entre Stealnath et Error. Si le rythme du manga est soutenu, le mangaka sait aussi ralentir la cadence. Il nous offre régulièrement des scènes plus calmes qui laissent aux personnages la place de s’exprimer. L’équilibre entre scènes d’action et dialogues est parfait et on n’a vraiment pas le temps de s’ennuyer à la lecture de « I » Daphne in the Brilliant Blue. De plus, l’histoire ne traîne pas et les chapitres s’enchaînent naturellement, sans précipitation, ni rebondissements artificiels.
Même s’il n’a pas la même importance que dans Kamikaze, le mystère est une autre composante du scénario de « I » Daphne in the Brilliant Blue. On en vient rapidement à se demander ce qui s’est réellement passé à la surface et d’où provient cette mystérieuse voix.
« I » Daphne in the Brilliant Blue laisse l’impression d’un scénario mûrement réfléchi et parfaitement construit. A la fin du volume, le contexte, les personnages et les enjeux sont posés avec la perspective de développements futurs. Mais ils ne verront jamais le jour (même si six chapitres restent inédits en volumes reliés) en raison de l’interruption du manga de Satoshi Shiki. Et ce volume introductif remarquable constitue finalement l’unique pierre de cette intrigue prometteuse.
Si son interruption est regrettable, « I » Daphne in the Brilliant Blue n’est pourtant pas dénué d’intérêt, d’autant qu’il peut parfaitement s’apprécier comme un one-shot. C’est d’ailleurs sous cette forme qu’il a été publié aux États-Unis. Certes, le manga s’achève sur une fin ouverte un peu frustrante. Mais il faut surtout retenir qu’il s’achève sur une fin (la résolution de l’enlèvement d’Aï et son intégration au sein de Stealnath), à la différence de Riot (par exemple), qui se termine en pleine action avec, en arrière-plan, de nombreux points qui restent en suspens. Davantage porté sur l’action que sur le développement d’un scénario tortueux bourré de zones d’ombre, « I » Daphne in the Brilliant Blue laisse le lecteur moins amer, moins frustré, avec la perspective de découvrir l’essentiel des mystères dans le dessin animé. Si l’on doit regretter l’arrêt du manga, c’est simplement pour sa qualité. On passe en effet un excellent moment avec ce titre divertissant et on aurait aimé suivre un peu plus longtemps les aventures de ses personnages pleins de charme.
On peut toutefois se demander vers quoi se serait dirigée la série si elle avait pu se poursuivre. La fin du manga laisse déjà entrevoir une nouvelle confrontation entre Caron et les filles de Stealnath. On peut également penser que le deuxième volume aurait été consacré à l’intégration d’Aï au sein de Stealnath avec le récit de ses premières missions. A plus long terme, les mystères de la voix, du devenir de la mère d’Aï et de la situation à la surface auraient été développés avec, peut-être, un retour à la surface (pour conclure la série ?). Le dessin animé de Daphne in the Brilliant Blue comporte certainement de précieuses indications au sujet de ces éléments.
« I » Daphne in the Brilliant Blue introduit un certain nombre de personnages, sans présenter toutefois le moindre risque pour le lecteur de les confondre ou d’être perdu, faute d’avoir retenu leur nom (ce qui avait été un reproche souvent adressé à Kamikaze). Si Satoshi Shiki est toujours aussi doué pour caractériser ses personnages en peu de choses (un geste, une manie, la manière de se tenir ou de parler…), il faut bien reconnaître que l’essentiel des personnages reste en retrait dans cet unique volume.
La vedette est en effet tenue par Aï Mayuzumi qui soutient et habite toute l’histoire de « I » Daphne in the Brilliant Blue. Il s’agit peut-être de la meilleure héroïne jamais créée par Satoshi Shiki (et pourtant, ses mangas ont toujours fait la part belle aux héroïnes charismatiques telles qu’Axelle ou Misao). Expressive, pleine de vie et d’énergie, son entrain déborde littéralement des pages du manga. On est rapidement pris d’affection pour elle et on se passionne pour ses aventures. A en juger par les nombreuses mimiques dont il affuble son héroïne, qui la rendent craquante et font parfois sourire, on sent que Satoshi Shiki a pris énormément de plaisir à la dessiner. Au moins autant que le lecteur en a à la voir évoluer.
« I » Daphne in the Brilliant Blue est le témoin des énormes progrès graphiques accomplis par Satoshi Shiki au cours de Kamikaze. Si certains personnages pouvaient se ressembler dans ce manga (Misao et Aïguma, qu’on ne pouvait distinguer que par le grain de beauté de la seconde dans le premier volume), ce n’est plus le cas dans « I » Daphne in the Brilliant Blue. L’auteur a considérablement élargi sa palette de visages. Le graphisme des personnages n’est ainsi plus uniquement caractérisé par une coupe de cheveux ou un élément précis (lunettes…) et chaque visage présente des caractéristiques propres (forme du visage, des yeux…).
A cela s’ajoute la présence importante des mimiques et d’exagérations dans le dessin des visages qu’on ne voyait pas tellement dans les précédents travaux de Satoshi Shiki. Ces éléments contribuent à rendre les personnages plus expressifs encore, tout en ajoutant un côté plus léger et comique. Dans Kamikaze, le dessin était davantage policé et restait dans un registre sérieux (malgré quelques rares incartades comiques qui avaient un impact sur l’aspect général du personnage, et pas uniquement sur son visage). Cet ajout correspond également à un changement de ton pour un manga qui est presque traité sur le ton de la comédie.
Si quelques visages présentent des maladresses évidentes, on retrouve l’excellent graphisme du mangaka avec un plaisir évident. L’impression globale est celle d’un dessin moins chargé, plus direct.
« I » Daphne in the Brilliant Blue affiche également une narration d’une clarté et d’un dynamisme total. La vitesse et le mouvement sont parfaitement représentés, surtout dans les impressionnantes scènes de poursuites entre divers véhicules. On retrouve la patte du mangaka qui n’a rien perdu de son talent pour nous faire ressentir les ambiances de son récit.
Malgré un dessin visiblement moins soigné que dans Kamikaze, on peut donc considérer « I » Daphne in the Brilliant Blue comme le meilleur travail graphique de Satoshi Shiki. Tous les progrès affichés dans ce manga sont en tout cas une belle promesse pour les futures œuvres du mangaka.
Ayant découvert le manga de Satoshi Shiki avant le dessin animé, je suis dans la situation inverse de celle voulue par les instigateurs du projet Daphne in the Brilliant Blue. Au lieu de considérer la série animée comme le produit principal, je la vois comme le complément du manga dont j’attends qu’il fournisse des informations sur le devenir des personnages ou sur les mystères de l’univers mis en place (état du monde à la surface, provenance de la voix…). Bref, j’espère qu’elle me donnera de nouvelles clés pour apprécier « I » Daphne in the Brilliant Blue et pour amoindrir la frustration de son interruption. N’ayant pas vu le dessin animé, il m’est de toute façon difficile de juger de son lien avec le manga ou de sa qualité.
Daphne in the Brilliant Blue sera proposée prochainement en DVD par Dybex. Il sera alors bien temps de se pencher dessus et de considérer ce qu’elle peut apporter au manga de Satoshi Shiki.
Présentant une approche et un traitement radicalement différent de Kamikaze, « I » Daphne in the Brilliant Blue est donc un excellent manga qui remplit pleinement son rôle premier : divertir le lecteur. Léger et mouvementé, ce titre bourré d’action est porté, une fois encore chez Satoshi Shiki, par une galerie de personnages tous plus attachants les uns que les autres, Aï Mayuzumi en tête. Le fait qu’il soit inachevé n’empêche pas le lecteur d’apprécier un one-shot riche et bien écrit. On ressort de ce titre satisfait, certes un peu frustré, mais surtout déçu… Déçu qu’il n’ait pu se prolonger plus longtemps.